- Pour plusieurs jamaïcains, le ganja est "l'arbre de vie".
D'après le président d'une commission sur le cannabis (Ganja Commission), Barry Chevannes, plusieurs jamaïcains utilisent la marijuana pour des fins spirituelles.
"Il y a un usage récréationnel semblable à celui de l'alcool" explique Chevannes, "mais les gens ont expliqué à la commission que le ganja apporte des bénéfices spirituels. Cela les aide à méditer et à communiquer avec leur Dieu. Cela les aide à trouver une voie intérieure pacifique et contemplative."
La perspicacité de Chevannes est l'écho des leaders religieux qui ont témoigné à sa commission. L'Archevêque Catholique Romain de Kingston et l'évêque anglican numéro un de la Jamaïque ont supporté l'idée que l'usage du ganja ne soit pas une offense criminelle.
L'archevêque a déclaré que Dieu a créé toutes les plantes à l'usage de l'humanité, et qu'il a ordonné aux humains d'étudier les qualités et les possibilités des plantes et des herbes. L'archevêque n'a dit ne voir aucune raison pour les restrictions légales sur la quantité de marijuana qu'un individu peut posséder, et qu'il supportait un " usage consciencieux " pour des fins religieuses.
"Mon propos est de respecter la conscience d'une personne et de quoi que ce soit fait avec modération" a-t-il dit. "Et s'ils voient que ces quelques choses qui peuvent les assister dans leur vie pieuse et dans leur rapport avec le divin, et s'ils croient sincèrement que Dieu leur a fourni dans le but de les aider à le faire, alors je ne peux dire que c'est immoral. Et je peux dire au gouvernement de décriminaliser la substance à moins que le gouvernement affirme qu'il est victime dans cet acte de culte."
L'évêque anglican de Jamaïque a exprimé un point de vue semblable à sa contrepartie catholique.
"Pour être en accord avec la moralité chrétienne", l'évêque a dit, le fait que vous soyez contre quelque chose ne signifie pas que ce devrait être une offense criminelle. Je n'aurais aucun problème avec la décriminalisation d'un usage privé limité aux adultes, et ce sans compromettre ma position personnelle que ce n'est pas quelque chose qu'un individu devrait considérer comme bon, sain, ou correct."
L'évêque a déclaré à la commission qu'il avait écrit un rapport sur le ganja en 1977. Dans ce document, il a noté les différences entre l'usage récréationnel, médicinal et religieux du cannabis. Il a dit qu'il serait difficile de concevoir une législation qui décriminaliserait l'usage privé et religieux mais non l'usage récréatif, et que cette difficulté est une des raisons pour lesquelles il supporte une décriminalisation générale.
La commission a interviewé des jamaïcains qui croient que les lois sur le ganja sont un affront à "Dieu, le Créateur".
"Leur argument est que le ganja est naturel, et non une substance créée par l'homme, donnée par Dieu à l'humanité pour être utilisée par l'humanité comme elle l'entend, de la même façon qu'Il fournit d'autres herbes ou buissons" a rapporté un homme de la commission. "En tant que substance naturelle, le ganja n'a pas besoin d'être cultivé. Répandu par les oiseaux et d'autres facteurs, il pousse de façon sauvage. Il ne peut conséquemment pas éradiqué. Dieu a créé d'autres herbes, mais aucune n'est sujette à la prohibition imposée par la loi."
Un ouvrier de 32 ans de Montego Bay a témoigné que "Dieu a créé toute la terre, les arbres, les graines, vous savez, alors si vous voulez vous battre contre les herbes, vous combattez ce qu'il a fait. Vous savez déjà qu l'homme se bat contre plusieurs de Ses créations. Si vous inculpez un homme pour l'herbe, vous devez inculper Dieu, puisqu'il en est le créateur."
La naissance des Rastas
La communauté rastafarienne de Jamaïque est probablement la plus importante voix religieuse dans le débat du cannabis.
Le rastafarisme, maintenant célèbre grâce à Bob Marley, et aux fameux "dreads" (peignure traditionnelle rasta, appelée "dreadlocks"), existe en Jamaïque depuis environ 70 ans, Ces racines peuvent être associées à Marcus Garvey, un jamaïcain d'origine qui s'est fait connaître en Jamaïque et aux États-Unis au début des années 1900.
Les talents d'orateur évangéliste de Garvey, combinés à son ardente critique du racisme et de l'oppression des peuples "travaillants", en a fait un "prophète" héroïque pour plusieurs jamaïcains. Ils ont vu une de ses prophéties - que l'Afrique produirait un "Roi Noir" moderne qui ramènerait le respect et le pouvoir au peuple noir partout - se réaliser en le couronnement de Haile Selassie I comme "roi suprême d'Éthiopie" en 1930.
Garvey a rejeté l'idée que Selassie soit un représentant de Dieu, mais Selassie a été accueilli par des dizaines de milliers d'adorateurs jamaïcains lorsqu'il a visité la Jamaïque en 1966. Il fut semble-t-il impressionné par le rastafarisme, et pressa les jamaïcains de renforcer leur peuple, de libérer la Jamaïque et d'ensuite immigrer en afrique.
Les politiciens et les chefs religieux jamaïcains qui prétendaient que Selassie était un entité divine sont devenus les aînés qui ont créé le mouvement rastafarien, en extrapolant le nom à partir de "ras" qui veut dire roi et de "tafari" qui veut dire "dont on doit avoir peur".
Leonard Howell, un des aînés, a fondé une commune près de Kingston dans les années 1940, où lui et d'autres rastas utilisaient le ganja pour les aider à trouver le Dieu ou "Jah" (nom rasta de Dieu) en eux. Ils croyaient que la bible, un des livres les plus sacré du panthéon rasta, appelle le ganja "l'Arbre de Vie dont le feuillage sert à la guérison des nations" (Apocalypse 22.2).
Rapidement, l'utilisation du ganja est devenu une pratique rasta répandue. La plante cannabis continue d'être une partie intégrante du rastafarisme, et est vénérée comme un sacrement.
Méchante Babylone
Les rastas croient que les humains ont fait une erreur en érigeant un techno-monde où le principal culte est celui de l'argent. Les rastas en parle en tant que Babylone. Selon la théologie rasta, la prohibition des plantes données par Dieu est la preuve de la nature artificielle et méchante de Babylone.
Les lois sur la marijuana sont vues comme un symbole de l'autorité externe non divine que Babylone exerce. La communauté rasta a vigoureusement résisté aux lois et à leur application, ce quia mené à leur persécution par la police et "l'élite riche" qui voyait le rastafarisme comme une potentielle force politique qui unifie les membres "marginalisés" de la société. L'aîné Howell fut arrêté pour le ganja, comme des milliers d'autres rastafariens. Comme aux États-Unis, la guerre à la drogue en Jamaïque en est une culturelle, qui voit l'utilisation du ganja comme la façon d'identifier et de faire du tort à un groupe précis (les utilisateurs de cannabis) qui est perçu comme dangereusement créatif et défiant de l'autorité.
Plusieurs groupes officiels de représentants rastafariens ont témoigné devant la commission Chevannes.
Les dirigeants de l'Église de Heile Selassie ont indiqué à la commission que l'utilisation sacristique du ganja est comparable à la doctrine de la transsubstantiation, qui stipule que le pain et le vin sont transformés durant la communion chrétienne en "le corps et le sang de Jésus".
Les représentant de l'Église Selassie ont expliqué que les prêtres rastafariens transforme de façon similaire le ganja en "le corps de la Sainte Trinité", par un rituel qui implique sa disposition sur un autel et sa bénédiction par les fidèles et les prêtres. Pendant le rituel, les fidèles inhalent "la fumée du ganja sacré". Cette inhalation est décrite comme une "communion".
Après la communion, le prêtre distribue le ganja béni en petite quantité aux hommes rastas de 21 ans et plus, pour leur usage personnel à la maison. Une telle ingestion n'est pas vue comme récréationnelle.
"Nous croyons que lorsque quelqu'un est initié à de tels principes, l'herbe n'est plus perçu comme quelque chose qui fait planer, mais comme une partie du corps du christ qui donne de la force" a dit un témoin.
Un autre groupe de rastafariens, les Aînés Nyabinghi du Tabernacle de Pitfour, ont dit à la commission que les rastas croient que Dieu a créé le monde naturel et a donné aux humains les connaissances et l'autorité d'y vivre honorablement.
Dans leur perspective, l'honneur se démontre quand les humains sont de bons responsables de leur propre vie, des écosystèmes et de toute vie sur la planète. La gentillesse et l'absence d'exploitation dans ce code de conduite combine l'humanisme, le communisme et l'environnementalisme radical d'une manière rarement vue dans les sociétés technologiques. Pour cette raison, plusieurs rastas préféreront vivre "dans la brousse" plutôt que dans les villes. Ils vivent "des vies simples" qui met emphase sur la famille, la santé, la nourriture naturelle et le ganja.
Rituels révélateurs
Les témoins rastas ont indiqué à la commission que le ganja est un "révélant" qui aide les individus à suivre le "chemin honorable", et c'est l'élément central du rituel et du mode de vie Rasta Nyabinghi.
Les Nyabinghi procèdent à des cérémonies rituelles herbales plusieurs fois par année dans des tabernacles spéciaux. Les tabernacles et leur terrain sont sacrés. Les fermiers rastas font pousser du ganja particulier pour utiliser spécifiquement dans les rituels "Binghi", qui peuvent durer jusqu'à 12 jours.
Les rituels se concentrent sur la prière et la communion entre les membres de l'Église. Ils débutent lorsqu'un grand prêtre suivi de 7 prêtres et de matriarches mènent une procession d'enfants jusqu'au tabernacle.
Le grand prêtre brûle du ganja sur l'autel et maintient la combustion durant chaque nuit de la cérémonie. Les aînés et les matriarches fument le ganja sacré, pendant que les enfants jouent du tambour et chantent. Plus tard, seuls les adultes participent à une cérémonie qui dure toute la nuit et comprend prières, chants, fumée, et percussions.
Les Nyabinghi s'engagent également dans une activité nommée "raisonnement de base". Ce raisonnement aide aux individus à se forger des idées sur "la politique, la théologie, le rapatriement et la réparation". Les participants discutent de préoccupations personnelles, mais le focus est mit sur l'interaction des individus et de la société, et sur d'autres sujets importants comme l'écologie.
De telles sessions incluent l'usage "supervisé" du ganja de façon à mettre les participants en relation avec des sentiments pacifiques, l'unité et la "conscience". La philosophie rasta décrit les humains "ganja-conscient" comme "le temple de Dieu, à l'intérieur duquel Dieu niche." Il est dit qu'utiliser le ganja "stimule l'être intérieur par le discours spirituel".
Dans ces sessions, l'herbe est fumée en joints ou dans un calice, bien que les témoins rastas ont dit que les fumeurs au calice doivent être très "matures et propres d'esprit" à cause des "bouffées" puissantes de cet unique et efficace appareil d'inhalation.
Avant le début de la consommation, les aînés prient en évoquant le nom de Haile Selassie pendant qu'ils éclaboussent l'herbe avec de l'eau bénite. Les fidèles réunis chantent des psaumes pendant cette partie du rituel. Le ganja rituel est parfois mélangé avec du tabac puisque l'herbe pure, dite "ital", peut être trop forte pour certains participants.
La création sacrée
Trois représentants rastas non affiliés - Ras Lya, Sister Ita et Sister Wood - ont indiqué à la commission que les rastafariens voient le ganja comme partie intégrante d'un "mode de vie spirituel".
Ras Lya a dit ne pas fumer d'herbe! A la place, il en mange et en boit, en utilisant un mortier pour le réduire en pulpe s'il est frais, ou en le broyant s'il est sec, pour ensuite l'utiliser avec d'autres herbes, des noix et du miel.
Il l'utilise médicalement en combinaison avec des épices comme la muscade, l'ail, le piment, le gingembre et des pelures d'oranges. Ras Lya a prétendu qu'il utilisait ce type de préparation au ganja depuis 40 ans, et que ses effets médicinaux l'ont préservé de souffrir de toute maladie ou douleur pendant ces années.
Sister Ita a donné aux représentants de la commission une perspective différente du "syndrome amotivationnel" que certains attribuent au ganja. Ce syndrome considère que les fumeurs de marijuana deviennent paresseux parce qu'ils se sentent "bien dans la vie, juste en fumant du ganja".
Sister Ita a dit que le ganja change les valeurs et les buts des gens, supprimant leur besoin de poursuivre le succès tel que définit par Babylone. Le ganja altère la conscience d'une telle façon que les usagers préfèrent être dans "une création naturelle plutôt que dans la ville", a-t-elle commenté, en ajoutant que le ganja amène un état d'esprit dans lequel les possessions matérielles et le monde de Babylone deviennent secondaires, de sorte que la personne "herbalisée" commence à voir l'individu comme une partie de la création plutôt que comme un consomateur de produits et de plaisirs artificiels et auto-destructeurs.
"La plupart des jeunes qui utilisent l'herbe sont dans un style de vie plus sobre et normal que la frénésie du centre-ville. Cela asobrit quelqu'un au point de le sortir "de la frénésie", comme je l'appelle; et le fait plus humble de même que plus satisfait de ce qu'il a." C'est une sorte de chemin de sortie pour certains jeunes, qui crée un espace où quelqu'un peut aller, comme les gens vont à l'église.
D'après Chevannes, les plaidoyers des rastas démontrent que la prohibition du ganja brime la liberté religieuse.
"La religion et le ganja sont liés" a expliqué Chevannes. Les pratiques et les croyances religieuses sont universellement reconnus comme des droits humains. Il semble que les lois sur le cannabis criminalisent une composante de base de la pratique religieuse de nos citoyens.